René-Pierre Roussel parle avec clarté, regarde avec franchise et répond avec concision ; chez lui, un sourire de passionné succède au calme maîtrisé d’un joueur d’échecs ; un esprit analytique brille à travers le prisme d’un humanisme basé sur le respect ; et, une confiance solide émane d’une humilité rigoureuse.
Posé, dispo et non sans un sens de l’humour pince-sans-rire, René-Pierre Roussel affirme d’emblée « ne pas être un expert en imprimerie ». En fait, il assure même « n’en connaître presque rien ». Pourtant, aujourd’hui à l’aube de sa cinquantaine, l’entrepreneur émérite est copropriétaire et chef de la direction du Groupe Canva, une société de portefeuille dynamique encore en pleine croissance regroupant 15 entreprises dans le domaine de l’imprimerie industrielle et commerciale. La véritable raison derrière ce projet : non pas l’amour d’un secteur ou d’un domaine de production, mais celui du monde des affaires.
Aller au-delà du mythe de l’entrepreneur indispensable
Originaire du Nouveau-Brunswick, le 4e d’une famille de 6 enfants, il grandit dans un milieu entrepreneurial. Le jeune homme aux ambitions décomplexées achève son MBA du HEC à Montréal après un BAA de l’Université de Moncton avec une idée en tête : se former sur le terrain afin de choisir son entreprise et non que son « entreprise le choisisse ». En 1997, il débute ainsi comme analyste à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Cette expérience lui offre une précieuse réflexion sur la nature différente de notre système économique, qu’il conclut basé sur le respect et le compromis, ainsi que sur celle d’une ancienne génération d’entrepreneurs qu’il découvre trop souvent basée sur l’ego.
Même s’il affirme avoir également « un bon ego quand même », René-Pierre Roussel sait dès lors que celui-ci s’avère le pire ennemi de l’entrepreneur. Cette prise de conscience « du mythe de l’entrepreneur essentiel au bon fonctionnement de son entreprise à toutes les échelles » et « confondant son style de vie avec la valeur de son entreprise » lui apprend à sortir du cadre traditionnel. En 2003, après trois ans comme analyste et fort d’une expérience de presque quatre ans en tant que VP finances d’une entreprise en nouvelle technologie, il prend conscience d’avoir été tout ce temps un « entrepreneur embauché ». René-Pierre souhaite alors sortir de cette situation de salarié et mettre en œuvre sa propre vision de l’entrepreneuriat à son compte : une approche différente, contemporaine et surtout plus efficiente.
Une ténacité hors norme
Un collègue de travail de l’époque, Hugo Leclair, partageant sa situation et ses aspirations, se joint à René-Pierre pour constituer une mise de fonds afin d’acheter une entreprise de sérigraphie réputée. La tâche s’avère plus ardue qu’il n’y paraît. Malgré un discours gouvernemental populaire autour de l’importance des jeunes entrepreneurs, réunir les critères nécessaires selon les normes bancaires afin de se lancer en affaires se révèle extrêmement complexe. Elle l’est encore davantage pour qui ne possède pas déjà une entreprise ou plusieurs années d’expérience dans le domaine de l’entreprise qu’il veut acquérir. Il faut des appels innombrables, des légions de rencontres, une ténacité hors normes et, entre autres, la participation de Desjardins Capital de risque pour effectuer leur première acquisition. Celle-ci, l’avenir nous le prouve, ne sera certainement pas la dernière.
Réussir en mettant l’ego de côté
Au fil des années et des acquisitions suivantes, René-Pierre et Hugo se spécialisent alors dans le rachat d’entreprises et la gestion bien plus que dans l’imprimerie. Ce secteur d’activité, et habituellement avec un mode de gestion très traditionnel, offre le terrain idéal pour mettre à l’épreuve les observations et les idées innovantes de René-Pierre sur la gestion d’une « entreprise loin de l’ego son propriétaire ». À force de négociation, dans le cadre des multiples acquisitions négociées et complétées à travers les années, René-Pierre développe une méthode directe et rapide. Il envoie un chiffrier Excel au propriétaire de l’entreprise, lui demande de le remplir avec honnêteté afin de distinguer ses dépenses personnelles de la valeur réelle des actifs de son entreprise. Il lui offre ensuite un prix de rachat sans ambiguïté sur ce calcul. S’en suit une période de transition avec un mandat de six mois de la part de l’ancien propriétaire pendant lequel Hugo et René-Pierre restructurent la gestion et maximisent l’autonomie du personnel. Dans la grande majorité des cas, après le départ de l’ancien propriétaire, l’entreprise augmente considérablement son efficience et « brise les plafonds de verre » de sa force de production. Comment expliquer un tel taux de succès ?
« talk the walk and walk the talk », une attitude essentielle
D’abord, selon René-Pierre, l’ancienne culture d’entreprise se fonde souvent trop sur la personnalité de son possesseur. Cela a pour conséquence de ralentir le développement possible par les véritables experts, les opérateurs. En brisant « le mythe du propriétaire indispensable », avec seulement trente minutes de réunions de façon hebdomadaire en compagnie de chacun de ses directeurs généraux, une philosophie de gestion portes ouvertes aux personnes concernées, et particulièrement, une approche fondée sur la transparence, René-Pierre Roussel peut se consacrer à ses deux passions, les acquisitions et les chiffres, pendant que la chaîne de production de ses diverses entreprises améliore ses processus. Il suffit de faire confiance aux opérateurs experts dans leurs champs de compétences respectifs et de les rendre imputables de leurs choix.
René-Pierre insiste sur l’importance « de dire ce que l’on fait et de faire ce que l’on dit ». Cette transparence permet d’établir une relation de confiance, saine et équitable avec sa main-d’œuvre. Comme avec son chiffrier Excel pour le rachat d’entreprise, le contrat de transition avec l’ancien propriétaire et les valeurs énoncées dans son guide de l’employé sont clairs et concis : « si vous êtes d’accord avec ça, on peut travailler ensemble. ». Grâce à ces outils, celui qui se décrit comme « trop paresseux de nature pour perdre du temps », enclenche très rapidement une logique de travail centré autour du respect du spécialiste. Avec un même nombre de travailleurs, il augmente la capacité de production sans même que ceux-ci ne s’aperçoivent du processus. La transition est donc simplement une question de reconnaissance, d’écoute et d’une volonté de négocier avec franchise. Cela implique « de laisser l’ego à la porte de l’usine » pour toutes les parties impliquées.
L’heureuse rencontre de l’humilité et du goût du risque
René-Pierre Roussel n’est pas près de mettre fin à son penchant de joueur d’échecs pour les chiffres et les acquisitions. Derrière son apparence tout en maîtrise, il avoue avoir un instinct de « gambler ». Avec le temps, il a tempéré ce trait de personnalité par une fascination pour la stratégie de négociation. On devine à la limpidité de sa réflexion, à la fois un plaisir et un devoir certain à détruire les mythes perdurant en gestion d’entreprises.
Devant la modestie de cet homme au cheminement atypique et au succès durable, on comprend que souvent les vrais innovateurs sont les esprits où se combinent avec une discrétion trompeuse la pratique assidue et la réflexion constante. À la manière des grands athlètes, René-Pierre Roussel a su mélanger le feu de sa passion à une discipline d’acier afin de forger une méthode dont l’efficience et l’élégance font rêver.
Rédaction : Jean-Philippe Nadeau Marcoux
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