Patrick Mainville : designer d’équipes et de confiance
- Stéphanie Côté Mongrain
- 19 juin
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 juin
Patrick Mainville parle au « on ». Pas pour s’effacer. Pour inclure. Patrick dit « on » comme d’autres diraient « nous autres ». On sent l’équipe, le collectif, l’écosystème. Dans sa voix, il y a quelque chose d’authentique, d’humain. Une posture droite, mais pas raide. Un calme qui vient de loin.
Alto Design, c’est une référence. Fondée en 1986 par Mario Gagnon, l’entreprise est devenue au fil des décennies un phare du design industriel au Québec et au Canada. Reconnue pour ses pratiques avant-gardistes, sa collaboration étroite avec des écosystèmes d’innovation, et son approche centrée sur l’humain, Alto a influencé plus d’une génération de designers.
Diplômé en design industriel de l’Université de Montréal, Patrick Mainville joint les rangs d’Alto Design en 1994. Il se démarque rapidement grâce à sa créativité, de solides compétences techniques, une fine vision stratégique et un dévouement presque sans limites.
En 2015, Patrick prend officiellement la tête d’Alto Design. Une passation tout en douceur, sans effet de scène. Le fondateur lui passe le flambeau. Pas une torche de prestige, mais un outil pour bâtir autrement.
Mario et Patrick sont toujours amis aujourd’hui. Mario venait tout juste de l’appeler avant notre entrevue. Leur lien dépasse le travail. Ils partagent un tempérament, un intérêt commun, une façon de penser le métier. Pour Patrick, Mario avait les bonnes raisons de faire ce métier-là : une innovation guidée par des valeurs, et un équilibre entre travail, famille et amis. Un modèle inspirant.
« Je ne viens pas d’une famille d’entrepreneurs. Quand Mario m’a engagé, je pensais seulement être designer. Créer, contribuer, c’est ce que j’ai fait. »
Mais à force de travail, à force de doutes transformés en moteurs, à force d’idées partagées, il s’est réveillé un matin avec cette pensée, à la fois drôle et juste :
« Finalement, je suis devenu entrepreneur. »
Ce n’était pas un but, c’était un constat. Comme quelqu’un qui se rend compte qu’il a construit une maison autour de lui sans jamais vraiment l’avoir planifiée.
« Je fais les choses autrement. Ce ne sont pas toujours des coups sûrs, mais ça me permet de remettre en question nos façons de faire et de les améliorer. » Il valorise un écosystème au profit d’une dynamique collective.

La vision n’est pas gravée dans le béton
« Une vision, ce n’est pas une pierre d’assise. C’est une boussole dans le brouillard. » Au début, Patrick doutait de tout. Pas parce qu’il manquait de talent, mais parce qu’il croyait qu’un vrai leader devait avoir « LA vision », celle qu’on grave dans le marbre et qu’on suit à la lettre. Il avait le syndrome de l’imposteur, pensait que ne pas avoir fondé l’entreprise le disqualifiait d’en prendre les rênes, même si Mario lui-même l’avait désigné comme successeur.
Mais Patrick a appris. Grâce à de bons coachs et accompagnateurs, il a compris que le leadership n’est pas figé. Que la vision évolue, qu’elle doit suivre un marché qui change sans cesse. Il faut être un guide capable d’assumer que la vision, ça se façonne. Que diriger, ce n’est pas imposer une direction, c’est apprendre à naviguer avec les autres et son instinct. Sa force : une capacité à se remettre en question sans se dégonfler.
« Le doute ou plutôt la réflexion, ce n’est pas une faiblesse. C’est mon carburant. Ça va avec la curiosité. Une qualité essentielle. »
Avec ses deux partenaires d’origine, Richard Paré et Marc-André Coutu, et maintenant avec deux nouveaux associés, Patrick gère de manière collégiale, en définissant bien les rôles. Chez Alto, on ne micromanage pas. On construit des équipes solides qui comprennent ce qu’elles ont à faire — et pourquoi elles le font.
Dans la tempête, on tient le gouvernail
La pandémie a été une grande école. Difficile. Mais éclairante.
Avant la crise, Alto comptait 22 employés. Aujourd’hui, ils sont 12. Moins nombreux, mais plus agiles. Patrick a appris à déléguer autrement, à comprendre les forces de chacun, à adapter les rôles.
« Ce que j’ai compris en pleine tempête, c’est qu’il fallait être capable de décider vite. Tu consultes, oui, mais tu tiens le gouvernail. »
Il a revu la planification stratégique, intégré de nouvelles pratiques et approfondi la relation avec ses clients. Parce que conserver un client, c’est plus qu’un mandat. C’est une conversation continue.
Transformer un échec en plan d’attaque
Pour Patrick, « il faut maintenir un dialogue ouvert au quotidien avec nos clients ». Sa motivation est plutôt de comprendre leurs besoins. Pour lui, « c’est autour de ce dialogue qu’on fait évoluer nos services. ».
Pour fluidifier la collaboration, Alto propose à ses clients trois modes de fonctionnement : un mode projet, avec une évaluation globale et un suivi hebdomadaire des heures ; un mode banque d’heures, adapté aux démarches exploratoires en recherche et développement; et un mode de service design continu, fonctionnant par mensualité, où Alto agit comme un département de design intégré au sein même de l’organisation du client.
Il y a eu un tournant marquant dans sa pratique : une soumission importante pour une entreprise de traitement médical. Un domaine stimulant pour Alto, mobilisant toute l’équipe. Ils se rendent jusqu’aux deux derniers finalistes… mais ne remportent pas le mandat. « J’ai trouvé ça difficile. Qu’est-ce que je fais pour pas perdre le prochain projet comme ça? »
Il s’est installé un dimanche. A pris une page blanche. A écrit tout ce qu’il ressentait. Il a vidé le trop-plein. De cette introspection sont nées des solutions. Une conclusion brutale, mais féconde : il y avait des angles morts dans la manière de présenter leur offre. Pas dans la qualité du travail, mais dans la façon de le traduire, de le vendre.
« L’émotion ne doit pas nous paralyser, mais nous propulser. »
Il crée un comité-conseil — un advisory board composé de trois experts du domaine médical — pour analyser leur offre objectivement. Résultat : ils découvrent que l’innovation médicale est un des grands points forts d’Alto, mais certains processus, éléments de vocabulaire et outils de documentation n’étaient pas suffisamment bien adaptés. Ils révisent tout.
Depuis, Patrick mise beaucoup sur la co-construction de la stratégie avec ses clients. Il a compris qu’il fallait aussi savoir se faire challenger. Il établit maintenant des partenariats pour mieux répondre aux besoins des clients. Il veut saisir de quelle manière ils se structurent et pensent leurs projets, leur réalité et leurs besoins.
Ce changement s’est étendu au-delà du secteur médical : préfabrication industrielle, éco-conception, transport, consommation, etc. Patrick a repensé son modèle d’affaires pour se diversifier. Pour lui, la spécialisation ou la diversification ne sont pas des absolus : ce sont des mouvements à observer. Évoluant dans le plein marché, nous nous adaptons à la variation des courbes économiques des différents domaines en nous appuyant sur les industries en effervescence. Durant la pandémie, il y avait beaucoup d’investissement en médical et moins en transport, par exemple, alors que quelques années plus tôt c’était l’inverse. C’est pour cette raison que l’entreprise demeure pérenne.
Être là, dans les détails, dans le lien
Alto ne vend pas des objets. Ils conçoivent des expériences. Une machine à café? Patrick et son équipe ne voient pas juste le café. Ils voient l’utilisateur, la maintenance, l’ergonomie, le geste.
« Je ne sais pas comment infuser un café... mais notre équipe sait comment rendre la commande intuitive pour plus de 100 utilisateurs par jour dans un dépanneur! »
Pour Patrick, c’est ça le cœur du design : comprendre les humains, leurs contextes, leurs gestes, leurs défis. Il mise sur l’empathie, pas la perfection. Et ça change tout.
Il applique ça aussi à la gestion. Il bâtit des équipes en superposant les compétences. Il intègre des pigistes, des talents externes, des approches différentes.
« Collaborer avec un architecte de paysage, par exemple, c’est enrichissant précisément parce qu’il ne pense pas comme nous. C’est cette diversité de points de vue qui nourrit la qualité de notre travail. »
Répondre au monde qui change
Le marché du design industriel a changé. Les relations aussi. Des clients de longue date perdus à cause de roulements de personnel. Des VPs qui arrivent avec leurs partenaires déjà en tête. Patrick s’adapte.
Il multiplie les points de contact. Il diversifie l’offre. Il reste à l’affût de l’IA, de l’écoconception, des cycles économiques. « Il faut toujours se demander : c’est quoi la prochaine nouveauté qui va transformer notre industrie? Et trouver les intervenants idéaux pour nous accompagner ou nous joindre. »
L’écoconception sans dogme
Pour Patrick, la responsabilité environnementale n’est pas un supplément. C’est une partie du design.
« L’étape de conception détermine 80 % des impacts du produit »
Patrick et son équipe collaborent avec des experts, adaptent les processus et accompagnent les clients. Il travaille en tandem avec l’agence française spécialisée en éco-innovation Think+. Il s'informe, il partage, il réfléchit à la place du design dans les enjeux écologiques globaux tout en gérant l’entreprise. Sa vision est exigeante, mais non dogmatique : il veut du concret, du mesurable, de l'humain. Il travaille sur les emballages, les cycles de vie, les matériaux. Et surtout, il apprend. Sa curiosité, c’est son arme secrète.
« Au début, on n’avait pas toutes les études. Pas tous les outils. On s’est entourés et ça fait toute la différence! »
Le design, c’est aussi comment on travaille ensemble
Le vrai terrain de jeu de Patrick aujourd’hui, c’est l’organisation du travail. Il est passé de créateur d’objets à créateur d’équipes, de processus, de culture.
Il voit la créativité dans le choix des gens, dans la manière de monter une équipe, dans la capacité de réagir vite, bien, ensemble. Il croit que l’innovation vient de là. Et surtout, il croit en l’autre. Il croit que la confiance, ce n’est pas un luxe. C’est une fondation.
« Nous sommes une équipe redoutable lorsque nous sommes animés par le « pourquoi » on fait les choses, pas juste le « comment. »
Patrick Mainville est un entrepreneur de la nuance. Un designer du quotidien. Un homme de peu de mots inutiles, mais de gestes vrais. Il n’est pas dans la mise en scène. Il est dans la mise en lien.
Il incarne une posture contemporaine du leadership : celle où l’autorité n’est pas un sommet, mais un réseau. Où la créativité n’est pas réservée aux idées, mais se déploie dans les structures humaines. Où l’humilité est un levier d’action, pas une faiblesse.
Chez Patrick, le design est un acte de présence. Une manière d’habiter le monde avec attention, de bâtir sans bruit des ponts entre les gens. Il marche avec ceux qu’il dirige. Il se remet en question pour toujours mieux servir l’élan commun.
Et dans l’univers du design, — le « on » ne fait pas que parler. Il agit. Ensemble.
Rédaction : Jean-Philippe Nadeau Marcoux
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